En 50 ans, Metz est devenue capitale des plantes médicinales traditionnelles
Sa renommée dépasse rarement le cercle des initiés: l'ethnopharmacologie, petite fourmi de la biodiversité, défend depuis près de 50 ans les médecines traditionnelles en permettant notamment d'empêcher l'industrie de breveter des pratiques anciennes et souvent menacées.
"Quand un guérisseur meurt, c'est une bibliothèque qui disparaît", explique simplement Jacques Fleurentin, président de la Société française d'ethnopharmacologie (SFE), depuis toujours basée à Metz. "Donc, on encourage le recensement des savoirs traditionnels". L'objectif est double: conserver ce savoir avant qu'il ne disparaisse, et faire un inventaire des plantes dont l'intérêt thérapeutique est démontré, explique l'ancien élève de Jean-Marie Pelt. C'est ce botaniste, écologue, mort en décembre 2015,qui fit de Metz le laboratoire de son "écologie urbaine", et qui a convaincu l'étudiant en pharmacie d'alors de se consacrer aux plantes.
Il passera trois ans au Yémen, dans un dispensaire et sur les routes pour étudier la pharmacopée du pays, avant de rentrer en France pour travailler comme pharmacien. Et, depuis un bureau du cloître des Récollets, où l'association de M. Pelt avait aussi élu domicile, il fera vivre, avec deux autres bénévoles, la SFE.
Au-delà de l'aspect scientifique, ce recensement des pratiques traditionnelles empêche leur mainmise par l'industrie pharmaceutique: "On peut breveter une plante si on découvre une propriété nouvelle", explique M. Fleurentin. "Mais si cette propriété est déjà écrite dans une tradition, on ne peut plus. L'ethnopharmacologie, pour nous, c'est un moyen de protéger les savoirs".
D'ailleurs, souligne ce docteur en pharmacie, en ratifiant cet été la loi sur la biodiversité, François Hollande a enfin acté en droit français ce principe établi à Nagoya (Japon) en... 1992. Et protégé, du même coup, la biodiversité des Outre-Mer.
- 35.000 plantes médicinales -
Depuis la publication de la loi, toute entreprise doit, si elle veut utiliser des techniques traditionnelles, en obtenir l’autorisation, en connaissance de cause, des populations concernées. Elle doit aussi s'engager à partager de manière équitable avec ces populations les avantages qui en seront tirés. Des dispositions précieuses alors que ces savoirs sont "des connaissances dont on entrevoit la fragilité et la fin", explique Bruno David, phytochimiste chez Pierre Fabre. "On se rend compte que si on continue a vivre comme ça, un jour il n'y aura plus de forêts (...) et ce savoir ancestral pour se soigner a partir de l'environnement" risque de disparaître aussi.
"Il faut faire prendre conscience de l'importance de ce patrimoine", ajoute le chercheur. Car les plantes permettent de soigner des maladies à peu de frais, et éviter le recours aux médicaments contrefaits, "véritable fléau de société". C'est là que l'ethnologue prend toute sa place, abonde le Dr Fleurentin. "Il sert à expliquer, à valoriser le médicament traditionnel. En expliquant qu'il a été évalué avec les mêmes méthodes que le médicament chimique, que l'on a des résultats aussi importants".
Sans nier toutefois que pour certaines maladies, le recours à la médecine moderne est absolument nécessaire. "Si on a un cancer, on va consulter un service d'oncologie. Mais pour des pathologies accessibles à la médecine traditionnelle, les plantes, on les a sur place, sans coût de transport, de conditionnement", explique M. David.
Sur les quelque 350.000 plantes dans le monde, 35.000 au moins sont médicinales, selon la Société française d'ethnopharmacologie. "Parmi elles, peut-être 2.000 ou 3.000 ont été bien étudiées. Il y a encore du travail pour plusieurs générations dans l'évaluation!", assure son président. Un groupe d'une vingtaine de stagiaires - pharmaciens, chercheurs - vient d'ailleurs de passer une semaine à Metz à discuter d'ethnopharmacologie, écouter des spécialistes, et apprendre un peu plus sur le recensement de ces savoirs menacés.
(Avec AFP)
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