Une "poubelle nucléaire" en projet dans la Meuse, une zone en quarantaine pour 100 000 ans
Du lait de ferme cryogénisé, des capteurs sur des ruches, des stations biogéochimiques en forêt: des observations scientifiques sont menées à Bure (Meuse), sur la zone d'un projet polémique de stockage souterrain de déchets hautement radioactifs en quête de légitimité.
L'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) n'a pas encore obtenu l'autorisation d'installer cette poubelle nucléaire controversée. En attendant elle a entamé depuis 2007 un autre projet: un Observatoire pérenne de l'environnement (OPE) sur quelque 240 km2 de forêt, prairie, cultures et cours d'eau autour de Bure.
Au sous-sol du bâtiment flambant neuf de l'écothèque, où sont conservés des échantillons prélevés à intervalles réguliers sur la zone de l'OPE, un ingénieur en blouse blanche et muni d'épais gants s'apprête à cryogéniser un échantillon de lait.
Une fois transformé en glaçon puis pré-broyé au pilon, le lait est réduit en poudre dans des bols en oxyde de zirconium où s'entrechoquent des billes, tournoyant dans une machine faisant penser à une énorme yaourtière.
La poudre est ensuite introduite dans de minuscules flacons, rangés dans des bacs en inox qui rejoindront des cuves constamment alimentées en azote liquide, pour conserver les prélèvements à -150°C.
Outre des produits laitiers, la cryogénisation sert à conserver des échantillons de miel et de pollen, de fruits et légumes, ou encore d'organes de poissons et de gibiers. Une autre salle est dédiée à la conservation sèche, à 18°C, de végétaux et de sols: du bois, des mousses, des feuilles, des graines de céréales...
A raison de plus d'une tonne d'échantillons prélevés chaque année, l'écothèque dispose d'une capacité de stockage d'une vingtaine d'années. Mais il faudra bien l'étendre: l'OPE est prévu pour durer plus d'un siècle.
"L'objectif est de disposer de tous les éléments mesurables sur la qualité de l'environnement", pour établir un état des lieux initial puis analyser l'impact du stockage nucléaire sur le long terme, explique Frédéric Plas, directeur de la recherche et développement à l'Andra.
"Un coup de pinceau rose et vert"
Pour accomplir cette tâche colossale, l'OPE s'est entouré de nombreux partenaires scientifiques comme l'Inra (Institut de la recherche agronomique) ou le CNRS (Centre national de la recherche scientifique) et a intégré une dizaine de réseaux français et internationaux de suivi de l'environnement.
Pour la communauté scientifique et l'Andra, c'est du gagnant-gagnant: les chercheurs se sont montrés intéressés par l'étude d'un écosystème au sens large et sur une période aussi longue. Tandis que pour l'Andra, bénéficier d'une telle assise scientifique est "un élément de crédibilité", relève M. Plas.
Mais l'autorisation du projet de stockage nucléaire (Cigéo) à Bure est encore loin d'être acquise. L'Andra espère un feu vert du gouvernement vers 2020, en vue d'une exploitation progressive à partir de 2025.
En cas d'abandon de Cigéo, "tout porte à croire que l'intérêt scientifique de l'écothèque et de l'OPE justifieront une utilisation sans lien avec le stockage", assure l'Andra. Mais il faudra trouver de nouveaux financements pour le dispositif, d'un coût d'exploitation annuel évalué entre 200.000 et 400.000 euros.
Le suivi environnemental laisse de marbre les antinucléaires. Corinne François, du collectif BureStop 55, y voit "un petit coup de pinceau rose et vert, pour vendre un projet dont on ne nous a pas expliqué les risques à venir, qui sont énormes".
"Que l'on conserve des petits oiseaux, des bouts de feuilles ou de la terre, ça ne changera rien" car une fois que le processus de stockage nucléaire sera lancé, "ce n'est pas l'écothèque qui l'arrêtera", s'inquiète-t-elle.
L'Andra soutient pour sa part que les déchets radioactifs, qui doivent être stockés à près de 500 mètres de profondeur, auront un impact radiologique "très inférieur à la norme réglementaire", sous la forme de rejets atmosphériques qui seront systématiquement analysés.
En attendant, l'Andra joue sa crédibilité sur un autre front: l'accusant d'avoir délibérément sous-estimé le potentiel géothermique de Bure pour faciliter l'implantation de Cigéo, les antinucléaires ont saisi la justice. Un jugement est prévu à Nanterre le 27 mars.
(AFP)
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