INTERVIEW. Benoit Hamon: «Manuel Valls ne cesse de faire peur»
L’ancien ministre de l’Education nationale et député PS frondeur tire à boulet rouge contre le gouvernement. Pour lui, la loi Travail doit être enterrée et Manuel Valls «ne cesse de faire peur». Interview.
Le gouvernement a fait marche-arrière sur plusieurs mesures de la Loi Travail que vous critiquez. La nouvelle mouture de l’avant projet de loi qui sera présenté en conseil des ministres cette semaine vous satisfait-il ?
Benoit Hamon. «Il n’y a qu’une seule mesure – qui n’est même pas dans la loi Travail - c’est la garantie jeune. Trois mesures qui subsistent pour justifier le rejet de ce texte : la première c’est que demain c’est la fin des 35 heures. Les entreprises pourront mettre en place une durée du travail plus ample. On va faire pire que Sarkozy sur la question des heures supplémentaires. Sur la question de la durée du travail, le gouvernement fait pire que Sarkozy. Les heures supplémentaires sous Sarkozy permettaient de gagner en pouvoir d’achat. Là, elles ne sont plus défiscalisées et moins rémunérées. La seconde c’est le licenciement économique qui est plus simple. Cette définition est défavorable aux salariés.
En l’état, même avec cette version modifiée à l’issue de tractations avec les partenaires sociaux, vous ne votez pas la loi Travail ?
Je ne la vote pas, je votre contre. Nous allons nos diriger de plus en plus vers des plans sociaux déguisés. On aura des salariés nombreux à être licenciés, plus seulement pour motif économique mais pour motif personnel.
Que proposez-vous au patronat qui demande une simplification du code du Travail, une simplification des normes et des réglementations ?
Je ne crois pas en cette fable qui consiste à flexibiliser le marché du travail peut créer des emplois. En quoi est-ce simplifier le code du travail puisque nous allons avoir un régime de la durée du travail et de la rémunération des heures supplémentaires qui sera différent d’une entreprise à une autre. Nous allons avoir de plus en plus de situations différentes. Il n’y aura plus un code du travail mais des codes du travail. Il n’y a aucune simplification. Nous sommes face à une forme de faiblesse de dire aux salariés +vous allez négocier au plus près de l’entreprise sans passer par les syndicats+.
Pour le retrait de la Loi Travail
Les frondeurs socialistes, les syndicats (FO et CGT en tête) ou les mouvements de jeunesse (Unef) ne généralisent-ils pas trop un discours anti-patron ?
J’ai été chef d’entreprise et j’ai été confronté au problème de faire des marges. Mais je sais aussi que dans les entreprises, quand il y a un lien de subordination, vous êtes en situation de faiblesse d’où la loi qui est pensée pour les plus faibles. Dans le cadre de la négociation, dans 9 cas sur 10, le salarié va perdre. Si on était dans un pays où le dialogue social est naturel, culturel, on n’aurait pas 7,8% de syndiqués.
Le gouvernement, notamment Manuel Valls que l’on dit à la manœuvre sur la loi Travail, a-t-il été trop brutal ?
Faire un texte sur la démocratie sociale en commençant par dire que la démocratie politique et parlementaire est une étape que l’on peut sauter, c’est un peu curieux.
Les textes défendus par le gouvernement sont-ils encore de gauche ?
Sur plein d’aspects oui. L’Education nationale par exemple. Najat Vallaud Belkacem par exemple s’inscrit dans la ligne de la refondation de l’école de la République qui avait été défendue par Vincent Peillon et que le PS portait dans l’opposition. La chronologie est bonne, il y a une cohérence. La généralisation du tiers payant et la politique de santé est de gauche. Il y a eu de vrais choix politiques qui touchent à la vie quotidienne.
"La politique économique du gouvernement n'est pas de gauche"
Et sur l’économie, la sécurité, la société ?
Sur la politique de sécurité, j’ai voté en faveur de l’état d’urgence mais je me suis abstenu sur la dernière loi antiterroriste. On s’obstine à refuser les récépissés de contrôle d’identité. J’ai été très sensible aux arguments des professionnels de justice sur les quatre heures de retenue sans avocat lors d’un contrôle d’identité. Je considère qu’il y a des mesures qui relèvent de la standardisation de l’état d’urgence. Le gouvernement importe des mesures exceptionnelles dans le droit commun. Il y a des mesures qui ne me paraissent pas être des mesures qui visent à mieux nous protéger.
Quand le gouvernement met en place une politique sociale qui considère que le responsable du chômage touche uniquement la question des cotisations sociales et patronales, je pense que ce n’est dans aucun programme de gauche. Donc non, le gouvernement ne mène pas aujourd’hui de politique économique de gauche mais il a pu en mener.
A quoi est lié ce virage, selon vous ?
L’arrivée de Manuel Valls à Matignon est clé. Le moment où tout bascule est celui où Arnaud Montebourg, Aurélie Filippetti et moi-même quittons le gouvernement. Nous avons critiqué des décisions politiques qui n’étaient alors pas de gauche jusqu’à celles d’aujourd’hui. Le fait de faire la déchéance de nationalité par exemple. J’ai dit à François Hollande après les attentats du 13 novembre que cette mesure nous diviserait. Il y avait l’unité dans le pays mais la division et la discorde n’ont pas manqué. Le gouvernement a imaginé que l’unité tiendrait avec une unité Sarkozy/ Hollande portant sur cette mesure de déchéance de nationalité. Aucun des deux n’avait raison. Je souhaite que ce texte soit retiré et que le président de la République se rende compte que les Français sont attachés au principe d’égalité.
2017 se prépare activement dans tous les partis jusqu’à l’Elysée. Vous plaidez pour l’organisation d’une primaire à gauche. Vous ne semblez pas entendu…
Une primaire où François Hollande peut être candidat. Je ne suis pas maître de sa décision puisqu’il l’a conditionné à la baisse de la courbe du chômage. Il prendra sa décision en temps et en heure. La primaire a un principe formidable : tous les candidats s’engagent à soutenir celui qui gagne. Je ne vois pas en quoi la participation du président en exercice pose problème. Il sera bien dans un moment dans la campagne. Et vous pensez qu’aujourd’hui aucune décision du président de la République n’a de conséquence électorale ? Ceux qui refusent la primaire prennent le risque d’un second tour Marine Le Pen/ candidat des Républicains.
Vous serez candidat à la primaire ?
Je serai candidat probablement s’il y en a une mais je ne souhaite pas qu’il y ait trop de candidats sur la même ligne d’arrivée. Arnaud Montebourg, Martine Aubry, Cécile Duflot et même Nicolas Hulot ont plutôt le même axe de pensée. Cette famille là n’aurait pas d’intérêt à se diviser dans une primaire. Il faudrait se mettre d’accord pour un seul candidat.
Un "divorce à l'amiable" avec le gouvernement
La hausse du point d’indice des fonctionnaires, gelé depuis 2010, c’est une nouvelle qui vous réjouit ?
J’avais proposé avec Arnaud Montebourg que le gouvernement devait relever le point d’indice des fonctionnaires. On connaît la suite et les procès qu’une partie de la gauche nous a intenté. Je me réjouis, cela faisait trop longtemps que ce point d’indice était gelé mais ce que je veux dire c’est qu’il est naïf de croire qu’à un an de la présidentielle que le président sortant n’a pas de visé électorale dans ses choix.
Après votre départ, vos oppositions au gouvernement se sont multipliées…
Il y a eu après la défaite des municipales de 2017 le souhait de François Hollande de se séparer de son Premier ministre. Sur la ligne de départ de candidats réellement possible à ce moment là il y avait Manuel Valls et Marine Aubry. François Hollande a décidé d’écarter Martine Aubry et a choisi Valls. Pour compenser l’absence de Martine Aubry, il a fait le choix d’offrir une promotion à deux ministres de gauche, Arnaud et moi-même. Au moment où on a constaté que les arbitrages ne penchaient plus de notre côté, on a préféré partir. Nous avons fait un divorce à l’amiable.
Au vue de l’état de la gauche, élections après élections le PS enregistre des défaites, le président de la République n’a jamais été aussi impopulaire, le gouvernement réforme avec difficulté, aux régionales le PS doit parfois se retirer… Comment en moins d’un an pouvez-vous reconstruire la gauche ?
La mission s’annonce très difficile. Il y a deux conditions, et encore ce n’est pas une assurance d’être au second tour, c’est d’abord que notre projet cesse d’être anxiogène. Dans la vision que ce gouvernement a du présent comme de l’avenir, il fait peur. Il ne croit plus que l’avenir peut être meilleur alors que jamais le pays n’a été aussi instruit et riche. La vocation historique de la gauche même dans l’épreuve est de porter un projet de progrès. L’extinction de la social-démocratie c’est aussi celle de la social-démocratie plus radicale qui disparaît petit à petit. Il faut porter l’espérance. Le gouvernement et Manuel Valls ont un discours très inquiet qui ne cesse de faire peur. Que Manuel Valls soit inquiet est une chose mais que le Premier ministre tous les jours traduise les inquiétudes de Manuel Valls… C’est une mauvaise chose. Manuel Valls ne cesse de faire peur. Si on ne réussit pas à rassembler les morceaux de gauche, tous en crise d’identité et de vocation, on n’y arrivera pas. La solution c’est la primaire.
Comment résumez-vous, en un mot, le quinquennat de François Hollande ?
Inachevé».
Propos recueillis à Nancy (Meurthe-et-Moselle), le 16 mars 2016.
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