Pesticides: un agriculteur lorrain qui attaquait l'Etat débouté par la justice
L'agriculteur de Meurthe-et-Moselle qui demandait réparation à l'Etat pour un cancer qu'il impute à l'usage de pesticides a vu sa demande rejetée par la cour d'appel de Metz jeudi.
Dominique Marchal, 58 ans, souffre depuis 2002 d'un syndrome myéloprolifératif, une pathologie du sang de type cancéreux. Depuis le diagnostic, cet exploitant de Serres (Meurthe-et-Moselle) n'a eu de cesse, avec son épouse, de faire reconnaître le lien entre sa maladie et le benzène présent dans plusieurs pesticides et herbicides.
En 2006, après quatre années de combat la Sécurité sociale lui donne raison: il devient alors le premier agriculteur français dont le cancer est reconnu maladie professionnelle. M. Marchal décide ensuite d'aller en justice pour demander à la Commission d'indemnisation des victimes d'infraction (Civi) du tribunal d'Epinal de condamner l'Etat, via son Fonds de garantie, à l'indemniser
Condamné en première instance et en appel à Nancy, l'Etat s'était pourvu devant la Cour de cassation, qui a annulé sa condamnation en décembre 2014 et renvoyé l'affaire devant la cour d'appel de Metz. Cette dernière a estimé jeudi que les preuves de "l'imputabilité de la maladie de M. Marchal aux effets nocifs du benzène présent dans les produits phytopharmaceutiques utilisés" n'étaient pas suffisantes et a rejeté la demande d'indemnisation.
Une décision "injuste et incompréhensible", a dit M. Marchal. "Nous nous laissons le temps d'avaler tout ça avant de voir la suite". "Mes clients sont très déçus mais également en colère", a déclaré son avocat, Me François Lafforgue. "Il a fallu passer devant plusieurs experts pour en arriver à la reconnaissance de lien entre maladie et pesticides et aujourd'hui on remet tout en cause". L'avocat "réfléchit très sérieusement à la possibilité de se pourvoir en cassation". La cour d'appel se fonde notamment sur l'absence de mention du benzène sur les étiquettes des produits - ce que dénonçait l'accusation, estimant qu'il s'agissait de "désinformation volontaire".
- Un combat mené avec sa femme -
"Elle se borne à statuer sur la question du lien de causalité - alors que nous avions toujours apporté des éléments permettant de le démontrer - sans se prononcer sur le fond du dossier, c'est-à-dire les fautes commises par les fabricants", a dit M. Lafforgue. A l'audience le 25 février, l'avocate générale avait demandé à la cour de reconnaître le droit de M. Marchal à être indemnisé.
Sur son exploitation - 500 ha de céréales et 110 vaches -, ses lunettes cerclées de noir sur le nez, pantalon et col roulé noir bientôt cachés sous sa combinaison verte et jaune, Dominique Marchal évoque ce "parcours du combattant", entamé en 2002 quand sa maladie - un syndrome myéloprolifératif - a été diagnostiquée. Cette maladie est caractérisée par une production anormale, d'allure cancéreuse, de certains types de cellules sanguines dans la moelle osseuse.
Ce "combat pour toutes les victimes des pesticides", Dominique Marchal ne l'aurait jamais entamé sans sa femme. "Sans elle, je n'aurais rien fait", lâche-t-il. "Il n'acceptait pas sa maladie. Alors c'est moi qui ai fait la demande de reconnaissance de maladie professionnelle, pour lui prouver que ce n'était pas de sa faute s'il était malade", explique Catherine Marchal.
Dès les premières analyses sanguines, elle est persuadée que les produits utilisés à la ferme ont quelque chose à voir là-dedans. "Je ne supportais plus l'odeur des produits. Je sentais physiquement qu'il en était imbibé", raconte cette petite-fille d'agriculteurs. Il leur a d'abord fallu quatre années pour faire reconnaître la maladie professionnelle devant le tribunal des affaires sociales d'Epinal. Et prouver que le cancer était lié à du benzène contenu dans des produits utilisés à la ferme, sans qu'il en soit fait mention sur l'étiquette.
- Son cancer reconnu comme une maladie professionnelle -
Quatre ans plus tard, en 2010, les Marchal rencontrent, lors d'un week-end en Charente, Paul François, un céréalier lui aussi malade, d'autres agriculteurs avec lesquels il créera l'association Phytovictimes, dont il est aujourd'hui vice-président, et François Lafforgue, qui deviendra leur avocat. L'un d'eux avait la même maladie que lui, murmure presque Dominique Marchal. Il est décédé dans l'année. "Cette démarche a fédéré toutes les souffrances, a redonné envie de se battre à tout le monde", explique Jean-Marie Desdions, agriculteur dans le Centre, atteint d'un myélome et en procès contre la firme agroalimentaire Monsanto.
Entre-temps, la maladie s'aggrave. Aujourd'hui, Dominique Marchal passe un vendredi sur trois en chimiothérapie, accuse la fatigue, mais n'a pas encore totalement renoncé aux pesticides. Le bio ? Trop cher, trop compliqué pour son type d'exploitation selon lui. Il préfère rallonger la rotation des cultures, et faire de la luzerne, un peu de tournesol, plus reposants pour les sols: "Pour baisser le volume de pesticides".
Le "prochain combat" avec son association sera financier: au titre de ses 30% d'invalidité reconnus, il touche 186 euros par mois. Pour un exploitant reconnu invalide à 100%, c'est 1.000 euros, maximum. Alors beaucoup de collègues ne veulent pas faire reconnaître leurs maladies comme professionnelles. "Ils ont regardé, ils n'ont rien à y gagner", explique Dominique Marchal.
(Avec AFP)
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