Au Théâtre de Bussang, une Lady entre Macbeth et printemps arabes
Quatre cents ans exactement après la mort de Shakespeare, le Théâtre du Peuple de Bussang, écrin en bois au coeur des Vosges, célèbre le dramaturge anglais tout l'été avec, en août, une "Lady First" aux accents de Macbeth plongée dans les printemps arabes.
Le texte, écrit par la Turque Sedef Ecer et mis en scène par Vincent Goethals, directeur de ce théâtre hors normes pour une année encore, retrace les dernières heures d'Ishtar, femme de dictateur à la croisée de Leïla Trabelsi, l'épouse de Ben Ali, et d'Asma al-Assad.
Isolée dans son palais d'été, alors que le peuple prend la rue pour renverser la dictature de ce petit pays jamais nommé, quelque part en Mésopotamie, Ishtar vit ses derniers instants. Son mari a déjà fui, les responsables du régime aussi. A ses côtés, son conseiller, son coach-styliste-astrologue, transsexuel de panthère vêtu, et une jeune journaliste, venue interviewer la First Lady à la demande du palais pour tenter de calmer la foule.
La pièce est née en 2012, déjà à Bussang mais en format court (10 mn), en partant de la fuite de l'épouse de Ben Ali, contrainte de quitter le palais de Carthage très rapidement. "Quand j'ai pensé la saison Shakespeare, j'ai repensé à ce petit texte, qui me faisait quand même penser au personnage de Lady Macbeth. Et j'ai rappelé Sedef pour lui proposer, avec cette idée d'un personnage à la Lady Macbeth, de le reprendre, en lui amenant plus d'épaisseur", raconte Vincent Goethals.
Quatre ans et 80 mn plus tard, la terrible Lady s'est désincarnée pour évoquer toutes les femmes amoureuses du pouvoir, de Messaline à Asma al-Assad, explique Sedef Ecer. "Une dictature imaginaire permet la fable, la farce-tragique", ajoute l'auteure. Une fable mise en scène entre burlesque et drame, de temps en temps tempérée par le sérieux des personnages du conseiller et de la journaliste. Piqûres de réel bienvenue, l'un incarnant les rouages du pouvoir, l'autre le peuple qui se soulève, et que l'on ne voit jamais.
A peine si l'on entend la révolte qui sourd devant les murs du palais d'une First Lady qui préfère compter ses chaussures et ses lingots, avant que l'approche de la mort ne laisse place à un cynisme total.
- "Donner à entendre des choses terribles" -
Né il y a 120 ans, quand un jeune dramaturge vosgien, lassé d'échouer à Paris, a monté sa nouvelle pièce en pleine nature, avec les villageois et ouvriers de l'usine de son père, le Théâtre du Peuple de Bussang s'est toujours, depuis, voulu populaire, sinon politique. Après Le songe d'une nuit d'été, pour ces Estivales placées sous le signe de Shakespeare, Lady First "permet de donner à entendre, l'air de rien, des choses terribles", souligne Vincent Goethals. "Ca permet au spectateur d'entendre mieux les choses".
Sous les éclats de rires provoqués par cette femme grimée, maquillée à outrance, dont la valeur se compte en paires de Louboutin, se glisse la question de l'avenir des soulèvements populaires. "Ne sais-tu pas que l'homme est vil' Si tu survis, Yasmine, tu goûteras à la plus douloureuse des désillusions", lance-t-elle à la jeune journaliste avant d'être dévorée par ses fauves. "D'autres débarqueront dans ce palais! Et ceux-là seront autrement pus redoutables que moi".
Après Le Songe d'une nuit d'été, joué en juillet, "qui embarque les gens dans quelque chose de très ludique, joyeux, féerique", présenter "tout à coup en contrepoint quelque chose que l'on a traité de façon très shakespearienne, mais avec un propos d'aujourd'hui", c'est placer le théâtre de Bussang au coeur de sa fonction première, estime M. Goethals. "Présenter un théâtre politique".
Une fois la femme tyran dévorée par ses fauves, seule face au public, Yasmine regrette doucement: "Je voulais un procès équitable (...) Pour que ça ne recommence pas. Pour que ça ne recommence pas. Pour que ça ne recommence pas".
(Avec AFP)
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